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Le réveil stratégique du graphite africain

Dernière mise à jour : il y a 4 jours

Dans les terres rouges du Cabo Delgado, au nord du Mozambique, le soleil frappe les tôles ondulées de la mine de Balama. Les camions roulent lentement dans la poussière, chargés d’un minerai gris foncé presque invisible aux yeux du grand public : le graphite. Pourtant, dans cette région instable, ce matériau discret est devenu une matière première convoitée, au cœur d’un affrontement industriel mondial.


Par David Briand

Publié le 19 juin 2025

Temps de lecture : 3 minutes


Au Mozambique, la mine de Balama, exploitée par l’Australien Syrah Resources, est un géant du secteur. Avec une capacité annuelle de 350 000 tonnes, elle alimente déjà Tesla via un contrat de fourniture signé en 2021. Mais ce gisement est sous pression : chute des prix du graphite, insécurité au Cabo Delgado et coupures d’électricité chroniques menacent son équilibre économique.

Discret, le graphite n’a rien de l’éclat médiatique du lithium ou du cobalt. Pourtant, il constitue l’élément dominant des batteries lithium-ion, représentant jusqu’à 95 % de l’anode et jusqu’à 20 à 30 % du poids total d’une batterie, soit environ 54 kg dans une Tesla Model S. Et c’est ce détail technique qui en fait une matière stratégique, au même titre que le gaz ou les terres rares.

« Le graphite est au XXIe siècle ce que le pétrole fut au XXe », observe Raphaël Danino-Perraud, analyste à l’Institut français des relations internationales (IFRI).

En 2023, la production mondiale de graphite naturel a atteint 1,6 millions de tonnes, soit une augmentation de 23% par rapport à 2022, selon Ressources naturelles Canada. Cette croissance devrait se poursuivre, selon l’Institut de l’Énergie Atomique (IEA), et être multipliée par huit d’ici 2040, rien que pour répondre aux besoins de la mobilité électrique. Quant au graphite synthétique fabriqué à partir de coke de pétrole ou de charbon, il est beaucoup plus cher à produire et très énergivore, ce qui le rend économiquement moins rentable.


Utilisations du graphite (naturel et synthétique) en 2023, Ressources Naturelles Canada
Utilisations du graphite (naturel et synthétique) en 2023, Ressources Naturelles Canada

La dépendance occidentale à Beijing


Mais l’équation énergétique est aussi géopolitique. En 2023, la Chine, qui détient une position hégémonique tant dans la production que dans la fabrication d’anodes, a restreint ses exportations de graphite sphéronisé, une version traitée indispensable aux batteries. Résultat : l’Europe et les États-Unis, pris de court, ont redécouvert leur dépendance quasi totale à Beijing.

Production et réserves mondiales de graphite, USGS 2023
Production et réserves mondiales de graphite, USGS 2023

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. D’après le rapport 2024 du US Geological Survey (USGS), les importations américaines de graphite proviennent à plus de 60 % de Chine, et celles de l’Union européenne à près de 85 %. Le risque ? Un étranglement technologique si la Chine poursuit sa stratégie de rétention, dans un contexte de tensions croissantes autour de Taïwan ou des chaînes logistiques.

« La dépendance au graphite chinois est structurelle, pas conjoncturelle. Ce n’est pas un choc, c’est une captivité », résume un expert de l’Agence internationale de l’énergie (IEA).

C’est cette lecture stratégique qui pousse Bruxelles à intégrer le graphite dans sa liste des matières premières critiques et à sécuriser ses approvisionnements via des partenariats Afrique–Europe, notamment dans le cadre du Critical Raw Materials Act. Même son de cloche du côté des États-Unis, qui, via l’Inflation Reduction Act et le Mineral Strategic Partnership, investissent massivement pour sécuriser leur approvisionnement.


L’Afrique, nouvelle frontière du graphite


Dans cette géopolitique du minerai, l’Afrique émerge comme une alternative stratégique. Selon les données de l’USGS, le continent représente 20 % de la production mondiale et concentre plus de 21 % des réserves mondiales de graphite naturel, réparties entre le Mozambique (25 millions de tonnes en réserve), Madagascar (24 millions) ou encore la Tanzanie (18 millions). Des entreprises occidentales prennent ainsi pied sur le continent afin de répondre aux besoins des grandes économies américaine et européenne.


À Madagascar, l’entreprise canadienne NextSource Materials mise sur le projet Molo : une production locale couplée à une future usine d’anodes. Le financement par la SFI, bras armé de la Banque mondiale, atteste de l’importance croissante de ces chaînes de valeur africaines. Financé également par Sir Mick Davis et sa compagnie Vision Blue, NextSource Materials, qui a déjà exporté une première cargaison de graphite vers des acheteurs américains et allemands fin 2024, ambitionne de produire jusqu’à 150 000 tonnes par an pendant 30 ans.

Autre projet majeur qui pourrait changer la donne en matière de chaîne d'approvisionnement pour les industries occidentales se situe en Namibie où l'entreprise canadienne Northern Graphite souhaite relancer le projet Okanjande : « le projet Okanjande en Namibie est notre pilier stratégique pour offrir une alternative crédible à la domination chinoise », affirme Hugues Jacquemin, PDG de Northern Graphite. D'après ce dernier, Northern Graphite, qui détient la seule mine en production en Amérique du Nord, pourrait devenir l'un des plus grands producteurs de graphite au monde d'ici une dizaine d'années.


Le graphite, comme d'autres métaux stratégiques, s'invite donc à la table de la géopolitique des ressources et l'Afrique devrait y jouer un rôle essentiel.



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