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Batteries africaines : ce gisement de graphite oublié

Sous le soleil de midi à Kigali, Patrick, conducteur de moto-taxi électrique , recharge sa batterie à une station mobile. Autour de lui, les moteurs à essence rugissent encore, mais la transition est en marche. Ce changement, porté par des entreprises comme Spiro, Bboxx ou encore Ampersand incarne une révolution énergétique en cours: celle de la mobilité électrique sur le continent.


Mais derrière cette transition énergétique, une ombre plane: le sort des batteries usagées et notamment celui du graphite qu’elles contiennent. Avec ce gisement potentiel, l'opportunité de créer une filière de recyclage se structure sur le continent.


Par David Briand

Publié le : 23 juin 2025

Temps de lecture : 4 minutes


Le graphite, ce minerai discret de la transition énergétique


Dans chaque batterie lithium-ion, il y a du lithium, du cobalt, du nickel... mais aussi beaucoup de graphite. Il représente environ entre 20% et 30% de son poids, et c’est lui qui constitue l’anode, c’est-à-dire le pôle négatif où les ions se réfugient à chaque cycle de charge.


Le graphite se trouve dans la nature sous forme de paillettes (flakes) ou de masses cristallines, qui sont extraites puis traitées afin de produire les petites particules sphériques nécessaires à la fabrication des anodes. Le graphite est également produit synthétiquement en chauffant les sous-produits de la production de charbon ou de pétrole à des températures supérieures à 2 500 degrés Celsius, un processus très énergivore, et souvent très polluant, qui déclenche la « graphitisation » des atomes de carbone. En 2023, la production minière mondiale de graphite a atteint environ 1,6 million de tonnes, soit une augmentation de 23 % par rapport à 2022 selon Ressources Naturelles Canada.


« On parle beaucoup de cobalt ou de lithium, mais sans graphite, aucune batterie ne fonctionnerait », rappelle Magdalena Graczyk-Zajac, chercheuse à l’Université technique de Darmstadt en Allemagne. . Avec son équipe, elle a co-signé une vaste revue scientifique sur le sujet dans la revue Advanced Materials début 2024. Son constat est sans appel : le graphite recyclé est sous-utilisé alors qu’il peut atteindre des performances comparables à celles du graphite neuf.

Un recyclage encore balbutiant


Démanteler les batteries, séparer les métaux, extraire le graphite. L’opération est délicate et coûteuse en énergie. Extraire le graphite, pourtant abondant, reste un casse-tête technique : il est lié à des résidus chimiques, aggloméré par des polymères, noyé dans la masse des cellules broyées. Cette “black mass”, noire, dense et complexe, doit être purifiée avant d’être réutilisée. Plusieurs techniques existent : le traitement thermique par pyrolyse, ou encore le lavage chimique à l'aide d'acides.


Le graphite recyclé n’est pas seulement bon à remettre dans des batteries. Il peut aussi être transformé en graphène, utilisé dans des supercondensateurs, des composites, ou même des filtres à eau. Une véritable « matière pivot » dans l’économie circulaire des matériaux critiques.


Mais pour l’instant, seuls 3 à 5 % du graphite des batteries est réellement récupéré. En cause : l'absence de filières structurées, un manque de rentabilité à grande échelle, l'absence de pression réglementaire et la compétition avec le graphite naturel ou synthétique chinois, produit à bas coût : « Le graphite est souvent considéré comme trop difficile à récupérer par rapport aux métaux plus rentables comme le cobalt ou le nickel », explique l’équipe de Graczyk-Zajac.


Une filière qui se structure


Bien que naissante, la filière de recyclage des métaux issus des batteries commence à prendre forme en Afrique portée par des initiatives publiques et privées dans plusieurs pays. Au Nigeria, la société Hinckley Recycling a inauguré en 2023 une usine spécialisée dans le traitement des batteries lithium-ion à Lagos, avec une capacité de traitement de plusieurs centaines de tonnes par an. Ce projet, soutenu par l’Agence allemande de coopération internationale (GIZ), vise à répondre à la croissance rapide du parc de véhicules électriques et à réduire les importations de matériaux critiques. En 2025, le ministre des mines nigerian Dele Alak a annoncé la construction de deux autres usines de traitement pour un montant d'investissement de 600 millions USD principalement porté par des entreprises chinoises.


En Afrique du Sud, Desco Electronic Recyclers et eWASA (Electronic Waste Association of South Africa) travaillent depuis plusieurs années à la structuration de la collecte et du traitement des déchets électroniques, y compris les batteries. Le gouvernement sud-africain, quant à lui, a annoncé en 2022 un plan national de gestion des batteries dans le cadre de sa stratégie sur l’économie circulaire. Enfin, au Rwanda, où les motos électriques d’Ampersand dominent déjà les rues de Kigali, des partenariats sont en cours pour le développement local de centres de reconditionnement des batteries, avec un intérêt croissant pour la récupération de graphite et de lithium.



Une nouvelle économie en devenir


Le marché mondial du graphite recyclé est encore embryonnaire, mais les projections sont claires. Selon les chercheurs, il devrait croître de près de 10 % par an d’ici 2030. À mesure que les volumes de batteries en fin de vie explosent, la pression monte.

Alors que la course mondiale aux métaux critiques s’intensifie, l’Afrique pourrait bien jouer un rôle central dans la transition énergétique, en particulier autour du graphite, un matériau indispensable à la fabrication des batteries. Le continent, encore marginalisé dans les chaînes de valeur industrielles, détient pourtant des atouts considérables. Madagascar, aujourd’hui deuxième producteur mondial derrière la Chine, côtoie des pays aux réserves prometteuses comme le Mozambique, la Tanzanie ou la Namibie.


Selon un rapport de McKinsey publié en 2022, la demande en véhicules électriques pourrait transformer le paysage de la mobilité sur le continent. En Afrique subsaharienne, d’ici à 2040, entre 50% et 70 % des motos-taxis pourraient être électriques. Le Kenya et le Nigeria enregistreraient à eux seuls la vente de 3 à 4 millions de deux-roues électriques chaque année. Parallèlement, entre 20 % et 33 % des voitures particulières pourraient suivre cette trajectoire.


Mais au-delà des ressources brutes, une autre richesse s’accumule lentement et discrètement : celle des batteries usées. Si le continent parvient à structurer une filière de recyclage, il pourrait non seulement sécuriser ses approvisionnements pour soutenir sa propre transition énergétique, mais aussi s’imposer comme un maillon clé dans la chaîne mondiale de recyclage des métaux stratégiques. Après l’extraction et la transformation, l’Afrique pourrait ainsi ériger un troisième pilier industriel : celui du recyclage. Un enjeu de souveraineté, mais aussi une opportunité économique à long terme.




 
 

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