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Tempête sur le secteur minier guinéen : Me. Amadou Barry décrypte

C’est une décision qui fait l’effet d’un séisme dans le secteur extractif guinéen. Par un décret présidentiel daté du 14 mai 2025, suivi d’un arrêté du ministère des Mines trois jours plus tard, les autorités de transition en Guinée ont annoncé le retrait de plus de 170 titres miniers d’exploitation et d’exploration. Une mesure sans précédent dans l’histoire récente du pays, qui intervient dans un climat de réformes musclées du secteur minier. Officiellement, peu d’explications sont données. Officieusement, le message est limpide : l’État reprend la main.


Me. Amadou Barry, Associé - ICARUS LEGAL
Me. Amadou Barry, Associé - ICARUS LEGAL

Si les textes ne détaillent pas les raisons individuelles du retrait de chaque titre, ils renvoient à un socle juridique clair tiré du Code minier guinéen. L’analyse de Me. Amadou Barry,  avocat du barreau du Québec et de Guinée, associé au sein du cabinet guinéen ICARUS LEGAL met en lumière les fondements de cette décision d’ampleur :


« Les textes mentionnent les articles 3, 34, 77, 82, 88 et 89 du Code minier, ainsi que l’article 71 du décret de 2014 sur la gestion des autorisations. Ces dispositions donnent à l’État les leviers juridiques nécessaires pour agir lorsque des engagements ne sont pas tenus par les titulaires de titres miniers », explique-t-il.


En vertu de ces dispositions, plusieurs manquements peuvent justifier un retrait : suspension prolongée des activités, non-respect des délais de mise en exploitation après étude de faisabilité, irrégularités administratives, ou encore exploitation illégale au-delà du périmètre autorisé : « Il peut s’agir, par exemple, d’un défaut de démarrage dans les délais, ou encore du non-versement des redevances, ou même d’une inactivité injustifiée, notamment sur des permis déjà expirés et non renouvelés. Certains cas semblent clairs, d’autres pourraient être sujets à discussion », poursuit-il.


Une procédure encadrée, mais aux contours parfois flous


Le Code minier n’accorde pas à l’État carte blanche. Il impose une procédure stricte avant tout retrait : une mise en demeure préalable doit être adressée au titulaire, avec un délai d’un mois (pour les permis de recherche) ou 45 jours (pour les permis d’exploitation) pour se mettre en conformité.

« Pendant cette période, les sociétés doivent suspendre toute activité technique. Et si elles ne régularisent pas leur situation, alors seulement la décision de retrait peut intervenir, avec une notification formelle précisant sa date d’effet », rappelle l’avocat.


Cette rigueur procédurale vise à éviter les abus… mais aussi à préparer le terrain à d’éventuels contentieux juridiques. Car les sociétés affectées disposent de recours, en vertu de l’article 89 du Code minier : « Un recours exercé dans les 60 jours suivant la notification suspend automatiquement l’exécution de la décision. Toutefois, l’État peut exiger une caution de garantie, qui serait perdue en cas de rejet du recours. Ce mécanisme pourrait dissuader certains opérateurs de contester », analyse l’avocat Me Amadou Barry.


Au-delà des recours internes, les conventions minières, qui, une fois ratifiées, ont valeur législative, peuvent contenir des clauses d’arbitrage international. La Guinée, membre de la CIRDI, a déjà eu à faire face à de telles procédures, parfois soldées en sa faveur.


« Il ne serait pas étonnant que des sociétés affectées par le retrait des titres, notamment celles disposant de conventions minières, décident d’enclencher une procédure arbitrale. C’est un scénario que l’État a probablement anticipé », ajoute notre expert.




Vers un secteur plus souverain ?


Cette vague de retraits s’inscrit dans une vision plus large défendue par le gouvernement de transition, qui a fait de la souveraineté minière un axe majeur de sa politique. Inspiré par le cas emblématique du projet Simandou, l’exécutif entend imposer de nouvelles exigences aux investisseurs : construction de raffineries locales, respect du contenu local, et implication accrue des acteurs guinéens.


« L’État guinéen ne veut plus être un simple fournisseur de matières premières brutes. Il pousse vers la transformation locale, comme le montrent les projets de raffineries de bauxite récemment annoncés », rappelle l’avocat.


Le contenu local, en particulier, est devenu une priorité stratégique. Depuis la loi du 22 septembre 2022, les investisseurs sont tenus d’inclure une part significative de main-d’œuvre, de sous-traitance et de financement guinéens dans leurs opérations. Une orientation illustrée par l’adoption d’un plan ambitieux pour Simandou, qui pourrait faire école.


« Ce plan pourrait servir de modèle. L’État semble désormais déterminé à exiger des engagements chiffrés et précis des nouveaux entrants »


Avec le retrait massif de titres miniers, l’État guinéen se donne la possibilité de redistribuer les cartes à de nouveaux investisseurs. Ceux-ci seront scrutés de près, notamment sur leur capacité à s’aligner avec la nouvelle doctrine minière du pays.


Mais cette stratégie comporte aussi des risques juridiques et diplomatiques, notamment si certains investisseurs choisissent la voie du contentieux. La Guinée parie sur un nettoyage en règle pour mieux rebâtir un secteur minier plus robuste, plus inclusif… et plus rentable pour l’État.

Reste à savoir si cette reprise en main tiendra ses promesses sans effrayer les capitaux étrangers. L’avenir du secteur extractif guinéen est peut-être à un tournant.

 
 

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