top of page

Sécurité sismique en mine souterraine : leçon de Kakula

Dernière mise à jour : 16 juin

C’est dans la torpeur de la ceinture cuprifère de la République démocratique du Congo, au cœur du complexe Kamoa‑Kakula, qu’Ivanhoe Mines a été bousculée ces dernières semaines. Une « redistribution des contraintes » a conduit à des chutes de roche légères ; si aucun effondrement majeur n’a été constaté côté opérateur, l’entreprise a pris la décision de suspendre temporairement certaines opérations souterraines pour mener une investigation complète et sécuriser les installations.


Cet incident, situé sur la faille entre sécurité des travailleurs et continuité de production, illustre à quel point le risque sismique est devenu un impératif au‑delà de toute frontière.

Me. Aboubacar Koulibaly, Ing.
Me. Aboubacar Koulibaly, Ing.

Aboubacar Sidiki Koulibaly, ingénieur en mécanique des roches et doctorant à l'Université du Québec à Chicoutimi a accepté de nous éclairer sur ces enjeux, une entrevue exclusive pour Minière Africaine.


Sismicité minière : comprendre les forces invisibles


Ce que les ingénieurs appellent « sismicité minière » est un phénomène bien connu dans les exploitations souterraines. Il s’agit de ruptures du massif rocheux causées par l’augmentation des contraintes dans le sous-sol. Ces ruptures peuvent survenir à tout moment et à des intensités très variables.


« La fréquence de ces ruptures est très variable, tout comme leur intensité. Celle-ci peut aller d’une simple rupture du massif rocheux jusqu’à l’effondrement des parois des excavations souterraines, avec projection violente de roches », explique l'ingénieur Aboubacar Sidiki Koulibaly.


La magnitude est un terme générique utilisé pour d’écrire l’ampleur d’un événement sismique en fonction de paramètres sismiques spécifiques. Il existe plusieurs échelles de magnitude, cependant toutes les échelles de magnitude ont une base logarithmique. Une description de l’échelle de grandeur de la magnitude Richter est comme suit :


  • À faible magnitude (-3.0),  petites détonations ou secousses entendus à proximité. Ces événements sont audibles, mais les vibrations sont probablement trop faibles pour être ressentis.

  • Une magnitude de -2.0 peut provoquer un grondement et ressentis à plus 10 m de la source de l’événement.

  • Une magnitude -1.0 est souvent ressentis par de nombreux travailleurs dans la mine et des secousses importantes peuvent être ressentis à proximité de la source de l’événement.

  • Avec une magnitude 0.0, les vibrations peuvent être perçues à la surface de la mine, mais peuvent être inaudibles à la surface.

  • Les magnitudes 1.0 à 2.0 causes des vibrations très importantes ressenties à la surface et très clairement entendues à la surface.

  • Les magnitudes de plus 3.0 peuvent être ressentis à la surface sur une grande distance et être détecter par les systèmes sismiques régionale.


Dans les cas extrêmes, ces secousses peuvent provoquer un « coup de terrain », une projection soudaine et violente de roches pouvant entraîner des conséquences humaines et matérielles graves.


Selon les informations publiées par Ivanhoe Mines à ce jour, aucune information n’a été rendue publique concernant la magnitude exacte de l’activité sismique observée à la mine de Kakula. Selon nos sources, le laboratoire de recherche géologique de l’Université de Lubumbashi ne dispose plus de capteurs sismiques depuis 2015, et il se pourrait qu’Ivanhoe Mines ne soit pas non plus équipée pour effectuer ces mesures. Dans ce contexte, il est difficile d’évaluer précisément l’ampleur des secousses et leurs impacts sur les opérations minières.


D'après le communiqué de presse de Ivanhoe Mines, il y aurait eu des chutes de roches dans certaines zones minières. Ces chutes entrainées par l'évènement sismique auraient considérablement impacté le réseau de dénoyage (les conduites de drainage et le système de pompage). Or, dans une mine souterraine, le pompage est vital. Le sous-sol est naturellement gorgé d’eau à cause de la présence de nappes phréatiques. Dans ce cas, dès que le système de dénoyage cesse de fonctionner, les galeries commencent à se remplir d’eau naturellement, car dans le sous-sol il y a des nappes phréatiques.


Face à cette urgence, un plan d’intervention a été mis en place en deux phases a été mise en place à la suite l’évènement de la mine Kakula.

  • La première phase, maintenant complétée, visait à stabiliser la situation en installant des pompes temporaires souterraines, atteignant une capacité de 4 400 litres par seconde. Cette capacité est suffisante pour contenir l’arrivée continue d’eau, évitant ainsi une inondation totale des travaux.

  • La deuxième phase, actuellement en cours, vise à assécher complètement les excavations. Pour cela, quatre pompes de grande capacité (650 litres/seconde chacune) ont été commandées et seront installées en surface, via les puits de ventilation existants. D’autres équipements viendront s’ajouter, pour former une infrastructure de pompage permanente adaptée aux défis de Kakula.


Des impacts humains et économiques majeurs


Dans des environnements géologiques complexes, comme certaines zones du Copperbelt, ces événements peuvent avoir des conséquences dramatiques. « Dans les mines souterraines situées en zones sismiquement actives, le risque sismique est souvent classé comme extrême », rappelle notre expert. « Les conséquences peuvent gravement compromettre la santé et la sécurité des travailleurs. Elles peuvent aussi entraîner l’interruption temporaire des opérations, voire, dans les cas les plus sévères, la fermeture définitive de la mine. »


Lorsqu’on observe des zones souterraines affectées par des magnitudes de niveau 3 ou 4, les impacts ne sont pas seulement techniques : ils peuvent aussi remettre en question l’accessibilité même du gisement. En effet, si certaines sections de la mine sont jugées trop risquées pour les travailleurs en raison de la sismicité, elles peuvent être temporairement ou définitivement mises hors service. Cela signifie que des volumes de minerai potentiellement exploitables deviennent inaccessibles, ce qui peut avoir un impact direct sur les réserves exploitables déclarées par l’entreprise, et donc sur la rentabilité à long terme du projet.


La science et la stratégie pour prévenir les risques


Face à cette menace, les compagnies minières mettent en place des stratégies de gestion du risque sismique, souvent très sophistiquées. Parmi les outils les plus utilisés figure le SRMP Flowchart (Seismic Risk Management Practices), une méthodologie structurée pour anticiper et atténuer les impacts :

« La mitigation du risque sismique repose tout d’abord sur la collecte de données géologiques, opérationnelles et géomécaniques, ainsi que de données sismiques », rappelle Aboubacar Sidiki Koulibaly. Ces données sont ensuite analysées via des modèles numériques et des outils d’analyse sismique avancés, qui permettent d’identifier les zones à haut risque.


En fonction de ces résultats, plusieurs mesures sont mises en œuvre :


  • Dimensionnement adapté des soutènements : ancrages, boulonnages, treillis métalliques.

  • Méthodes de minage appropriées, tenant compte de la géométrie et des contraintes locales.

  • Gestion de l’exposition humaine, avec des protocoles de réentrée, des délais d’attente post-minage, et l’usage croissant d’équipements télécommandés.

  • Techniques de réduction des contraintes, comme le de-stress blasting ou la fracturation hydraulique, visant à relâcher la pression de manière contrôlée avant qu’elle ne se libère brutalement.


Un impératif de sécurité dans les mines africaines


Malgré tous ces dispositifs, le risque zéro n’existe pas. « La prévision de ces événements reste difficile, tout comme l’évaluation précise de leur potentiel de dommage », admet l’ingénieur.


Mais ces efforts permettent de travailler de manière plus sécuritaire, de maintenir des conditions d’exploitation acceptables, et de minimiser les interruptions liées aux secousses. À long terme, ce sont ces pratiques rigoureuses qui permettront aux mines africaines — souvent situées dans des environnements géotechniques complexes — de poursuivre leur activité tout en protégeant les vies humaines.

 

Minière Africaine Copyright © 2022 Minière Africaine. All rights reserved.

  • LinkedIn
bottom of page