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Faut-il sauver le soldat Bazoum ? La France, Orano et le Niger

Résumé

Dans la nuit du 26 au 27 juillet 2023, des membres de la Garde Présidentielle du président nigérien Mohamed Bazoum ont annoncé avoir renversé le président. Un Coup d’État serait donc en cours au Niger.


Le Niger fournit 5% de l’uranium mondial et environ 10% des importations françaises d’uranium naturel. La seule entreprise minière en production est la française Orano qui a exporté en 2020 pour plus de 220 millions d’euros d’uranium naturel et vient de renouveler un contrat avec l’État nigérien en mai 2023 pour une exploitation jusqu'en 2040. Orano est une entreprise dont l’actionnaire majoritaire est l’État français, allié du régime Bazoum qui vient de tomber en cette fin de juillet. Les intérêts de la France sont-ils menacés ? Comment la France défendra les intérêts d'Orano ?


Une nuit de Juillet


27 juillet 2023, 2 heures 17 du matin, Jeune Afrique publie sous la plume des journalistes Justine Spiegel et Mathieu Olivier : “Ce 26 juillet, aux alentours de 23h30, l’armée a annoncé la création d’un Conseil national de sauvegarde de la patrie (CNSP), mais aussi avoir suspendu la Constitution et instauré un couvre-feu. Les frontières sont également fermées jusqu’à nouvel ordre.” Tous les journalistes dans la région relaient ces mêmes informations. La garde présidentielle aurait monté et exécuté ce coup d’État contre le président Mohamed Bazoum, ministre depuis 2011 sous le gouvernement précédent puis élu président en 2021.


Aux petites heures du matin, le ministre des Affaires étrangères, Hassoumi Massoudou, se déclare sur les réseaux sociaux “chef du gouvernement par intérim.” Un chef de gouvernement de résistance suggère Jeune Afrique. A 6 heures 58 du matin, Hassoumi Massoudou donne une interview sur France 24, un média créé sous la présidence Chirac en 2002 et dont l’actionnaire est la société d'État française France Media Monde, l’interlocuteur est choisi.

Hassoumi Massoudou est au téléphone avec France 24, nous ne verrons ni son visage ni son environnement et ni son entourage : “ Nous sommes les autorités légitimes et légales du Niger”, déclare-t-il. Les soutiens de Mohamed Bazoum en appellent à la mobilisation contre le coup d’État. De leur côté, les putschistes mettent en garde contre toute ingérence extérieure rapporte le média nigérien ANiamey et sont rejoints par l'armée qui semble se joindre au mouvement putschiste.


Bref, le divorce n’est pas encore tout à fait consumé. En attendant tout dénouement, c’est le chef de la garde présidentielle Abdourahmane Tchiani qui semble avoir pris le pouvoir.


La France, le Niger et l'Uranium


La France et le Niger sont des partenaires dans la région du Sahel. L’Obs sous la plume de Sarah Diffalah affirme “Le Niger, dernier allié de la France au Sahel”. D’ailleurs la France n’a-t-elle pas donné en novembre 2022, deux hélicoptères Gazelle qualifiés “d'hélicoptère d'attaque” par le magazine Opex360 ? La France y a également installé des bases militaires comme celle située à Ouallam et le Niger coopère dans ce qu’il reste du G5 Sahel. L’Agence française de développement (AFD) y investit 90 millions d’euros en 2021 et d'après la Direction Générale du Trésor français, les échanges commerciaux entre le Niger et la France s'évaluent en 2021 à 180 millions d’euros au total. En outre, l’administration française ajoute : “Depuis 2018, les principaux investissements (IDE) au Niger proviennent essentiellement de la Chine, de la France, et du Nigeria, et sont associés au secteur extractif ou à l’industrie manufacturière. Le flux des IDE français au Niger a connu un pic en 2014 (+ 854 M EUR) grâce : aux investissements du Groupe Bolloré relatifs au chantier de la boucle ferroviaire et la reprise des actifs de la société publique Bénirail, aux investissements d’Orano (à l’époque Areva), notamment pour la réalisation de la route Arlit-Agades, ainsi qu’à la constitution d’une flotte de camions pour le transport de l’uranium.”


Si le Niger est connu dans le monde pour la musique Touareg de Mdou Moctar, il est aussi connu pour son uranium et ses coproduits qui représentent 2,5 % du PIB et 92% de la valeur de la production minière en 2020 selon le Ministère des Mines du Niger.

Ces minerais sont essentiels pour nourrir les 440 réacteurs des centrales nucléaires générateurs de 10% de la production énergétique mondiale selon le World Nuclear Association.

La France de son côté importe environ 21 000 tonnes d’uranium et la consommation de son parc est estimée à 7 000 tonnes selon la Revue Générale du Nucléaire (RGN). Le Niger en exporterait 2.200 tonnes vers la France sur une production totale de 2.900 selon le rapport ITIE 2020, soit environ 10% des importations totales françaises d’uranium. Une fois importé, cet uranium transformé est revendu ou vient alimenter une partie des 56 réacteurs nucléaires de la société publique Électricité de France qui fournit 70% de l'électricité française. Bien que d’autres pays soient devenus des fournisseurs importants d’uranium pour la France tels que le Canada ou le Kazakhstan, le Niger est un pays qui compte à la fois pour la France, et pour le monde, représentant environ entre 5% de la production mondiale d’uranium selon la World Nuclear Association en 2023.


Orano, une entreprise française dont l’État français est le principal actionnaire, est la seule société minière au Niger à extraire cet uranium et alimente donc directement ses usines en France.


Orano, une entreprise française


Petit point nucléaire. Selon la RGN, voici les 4 étapes à suivre pour la production de combustible nucléaire:


  1. L’extraction minière des roches que l’on réduit en poudre jaune - yellow cake

  2. La conversion chimique en tétrafluorure d’uranium UF4, puis en hexafluorure d’uranium UF6

  3. L’enrichissement de l'isotope 235, l’UF6 enrichi

  4. L’UF6 enrichi est transformé en oxyde d’uranium, conditionné en petites pastilles cylindriques empilées dans de longs tubes métalliques en alliage de zirconium et envoyé aux centrales nucléaires.


Voilà, vous savez désormais comment fabriquer un combustible nucléaire chez vous.


Orano maîtrise ces 4 maillons de la chaîne de production et va même jusqu’au recyclage des déchets nucléaires . Autant dire que c’est un gros joueur dans le marché du nucléaire. Orano exploite des mines au Kazakhstan, au Niger et au Canada et produit 7,500 tonnes sur les 55.000 tonnes de production mondial que compte l'Agence Internationale de l’énergie Atomique en 2023. Orano, c’est le numéro 3 mondial dans l’enrichissement de l’uranium opérée dans diverses entreprises en France, pour un résultat net total de 678 millions d'euros en 2021. Beau bébé.


Orano est dirigé par Philippe Knoche, ingénieur, X, Corps des Mines, depuis ses 31 ans chez Areva, enfin Orano. Mr.Knoche a récemment informé le Conseil d’Administration qu’il quittera ses fonctions début octobre prochain pour “développer un autre projet professionnel”. L’actuel président de la filiale Mines (Orano Mining) est Nicolas Maes, ayant fait carrière dans l’industrie française d’abord chez Lafarge puis chez Framatome, après être sorti de X, évidemment. Orano est présidé par Claude Imauven, un ancien sous conseiller de DSK dans les années nonante. Passé par Saint Gobain, un haut fonctionnaire français.



  • La COMINAK créée le 12 juin 1974, a produit environ 75.000 tonnes d’uranium de 1978 à fin 2019 et a cessé ses activités en 2021. En 2020, elle a produit 1.113 tonnes d’uranium.


  • IMOURAREN, dirigé par le français Matthieu Davrinche est dans la phase d'exploration avec une exploitation prévue en 2028.


  • La mine de SOMAÏR est actuellement la seule société à extraire de l’uranium au Niger. En mai 2023, Orano et la Ministre des Mines du Niger Ousseini Hadizatou Yacouba ont signé un accord de prolongation de l’exploitation de SOMAÏR jusqu’en 2040. En 2020, la SOMAÏR a produit 1.879 tonnes


Ensemble, d'après leurs déclarations à ITIE 2020, la COMINAK et SOMAÏR ont exporté pour 220,000 millions d’euros d’uranium. Ses clients sont principalement Orano, l’espagnol ENUSA ou encore le japonais Overseas Uranium Resources Development Co. Ltd (OURD).


Un couple nigero-francais fait pour durer ?


L’État français est donc dans un positionnement de partenariat avec le Niger tant dans la coopération militaire avec le G5 Sahel et les soutiens politiques affichés à Mohamed Bazoum. La France et le Niger ont des intérêts économiques liés par l’entreprise d’Orano, l’un et l’autre s’alimentent. Selon ITIE 2020, 68% des revenus miniers en impôts et taxes proviendrait des entreprises COMINAK et SOMAÏR réunis, soit plus de 18 milliards de FCFA, environ 28 millions d’euros. Une manne financière non négligeable pour un pays dont les recettes du budget national 2023 sont évaluées à 1.400 milliards de FCFA ou 210 millions d’euros. D'après les données de l’ITIE 2020 et du budget national 2023, sauf grande évolution en ces 3 ans, COMINAK et SOMAÏR contribueraient à un peu moins de 10% des recettes du pays.


Alors, relations amoureuses ou toxiques ? Orano n’a pas toujours bonne presse au Niger, en particulier auprès des populations Touaregs. La France non plus n’a pas toujours bonne presse dans les pays du Sahel en ce moment. Comme au Mali. Comme au Burkina. Et des mouvements citoyens nigériens se sont organisés et protestent voire contestent la position de la France. N’entendons-nous pas des slogans anti-français dans les rues de Niamey ? Les loyalistes en appellent à la France. Le pays européen, par la voix d’Emmanuel Macron, depuis la Papouasie-Nouvelle-Guinée, condamne : “avec la plus grande fermeté le coup d’État militaire au Niger.” C’est acté, c’est un coup d’État. Le président français n’eut pas la même attitude avec le Tchad voisin lors du décès de Deby père. La base militaire de Ouallam ne bouge pas. Aucun ordre n’est donné. Une position difficile pour la France.


D'abord les frontières sont fermées. On n'évacue personne pour le moment. On observe les rapports de force politique s’installer. Personne n’a encore tiré.


Si de nouveaux chefs prennent le pouvoir, que va faire la France pour protéger ses intérêts politiques, financiers, voire stratégiques ? Si de nouveaux interlocuteurs s’immiscent dans la partie voudront-ils une part du yellow cake ? Voudront-ils changer des règles, notamment augmenter les taxes pour alimenter les caisses de l’État comme ce fut le cas lors des négociations en 2013 ? Voudront-ils négocier plus amplement avec d’autres partenaires intéressés par l’uranium comme les canadiens de Global Atomic Corporation ou les chinois de CNUC dans la coentreprise SOMINA ?

Des partenaires stratégiques pourraient également être mis en difficulté comme les différents ministres qui délivrent des autorisations ou la société publique SOPAMIN dirigée par Wayounfan Amahoulouk. Pire pour Orano et l’État français, les contrats signés avec l’État nigérien, comme le dernier de mai 2023 pour la prolongation de la seule mine en production, peuvent-ils être remis en cause ?


L'intérêt pour la France au Niger se construit dans un contexte géopolitique particulier dans un Sahel qui traverse des mouvements de fonds. Une remise en question des intérêts français dans ses anciennes colonies se forge politiquement et s’incarne par divers coup d’État, au Mali, et au Burkina Faso. Dans d’autres pays de la région une partie de la population conteste les intérêts voire les privilèges français comme au Sénégal, peut-être au Tchad.


Que fera la France pour défendre les intérêts d’Orano ?

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